Introduction
Ce texte étant relativement long, il nécessite quelques mots d’introduction. D’une part à la suite de cette introduction vous en trouverez un résumé, afin que vous puissiez décider de votre intérêt à lire les développements qui y sont faits de ses contenus. D’autre part le texte a été structuré de telle manière à ce qu’il puisse être lu en plusieurs fois ou en plusieurs parties, dès lors que l’intégrité des chapitres est respectée. Je vous en souhaite une très bonne lecture.
Résumé
Partant de deux constats, le premier étant l’accélération des changements demandés aux organisations et à celles et ceux qui en font le vécu quotidien, le second étant l’apparition de la fonction de «change-management» en leur sein pour répondre à cette évolution, je tente de placer le team-building comme une pratique permettant d’accompagner le changement et de le soutenir, notamment en m’appuyant sur son aspect systémique. En mettant l’accent sur les représentations je communique également qu’elles sont trop souvent les grandes oubliées du changement et que sans leur évolution et leur partage au sein de l’organisation et de ses différents niveaux il y a peu de chance que l’adaptation demandée soit optimale. Pour expliciter tout ceci, je partage et rappelle ce que l’on sait aujourd’hui de notre fonctionnement en termes d’adaptation (le stress) sur le plan physiologique, ainsi que certains aspects du fonctionnement de notre cerveau. Le tout permet de centrer, une fois n’est pas coutume, notre regard sur le rôle des représentations dans le changement et de mettre en perspective ce qui apparaît comme ce qu’il y a de plus humain et de plus complexes à aborder et à faire évoluer.
La seule chose qui ne change pas, c’est...le changement
Les environnements de travail dans lesquels nous évoluons au quotidien sont empreints d’une pression importante et qui ne fait qu’augmenter. Que ce soit pour des raisons économiques, d’améliorations technologiques, d’optimisation des processus, de revalorisation des fonctions, de décisions politiques, l’entreprise ou l’institution doit constamment évoluer, changer. L’apparition depuis quelques années de cette nouvelle fonction de «change-management» est également le signe d’un besoin d’accompagner et de faciliter cette nécessité issue des pressions environnementales ou intrinsèques.
Le changement est partout et tout le temps. Il n’est bientôt plus possible de se reposer sur des acquis. C’en est à tel point qu’aujourd’hui, le temps nécessaire à prendre certaines décisions les rend invalides au moment de leur mise en application, car les conditions et l’environnement ont changé dans l’intervalle.
Au commencement était...le stress
Il est bon ici de rappeler que ce processus (adopter des changements au gré des pressions de l’environnement) s’appelle adaptation. Or toute adaptation génère du stress. Pour le dire encore différemment, afin de rendre compte de l’importance de la chose, tout processus d’adaptation est du stress. Le stress est donc naturel et permet la mobilisation de notre énergie afin de nous adapter aux stimuli de notre environnement.
Si je passe par la case stress pour appuyer mon propos, c’est que cet aspect est souvent passé sous silence. Le stress a été, dans l’esprit de beaucoup, pathologisé. Lorsque nous posons la question « es-tu stressé ? », à l’un de nos proches, nous entendons bien et implicitement « au-delà de ce qui est tolérable », donc déjà une situation de déséquilibre induite par une pression que notre interlocuteur vit comme dépassant ses capacités d’absorption quotidienne.
Ce qui est valable pour l’individu dans la vie quotidienne en dehors du travail, l’est à son poste et l’est également pour l’équipe, le département et l’entreprise ou l’institution au final. Sommes-nous toujours conscients de la manière dont les différents niveaux organisationnels manifestent le stress qu’ils vivent ? L’identification des symptômes de stress de ceux-ci est le premier travail à faire pour identifier le terrain sur lequel le changement doit être intégré. Cette identification ne peut se réduire aux seules réactions et symptômes individuels. C’est donc généralement ce qui fait et constitue « le plus que la somme des parties » qui est impacté.
Les résistances au changement
Combien d’entre nous ont vécu cette déception et cette frustration d’avoir amené un super concept, bien élaboré, bien pensé, en ayant tenu compte des différentes enquêtes qui ont été menées pour le définir sur une base concrète et pragmatique et qui s’aperçoivent après des mois d’accompagnement qu’il n’a pas été intégré ?
Le maître-mot pour expliquer ce phénomène est « résistances au changement ». Je regrette que cette expression génère une considération de quelque chose, soit d’anormal, soit de l’ordre de l’obstacle. Pour être très clair à ce sujet, les résistances au changement sont tout aussi naturelles que le stress évoqué plus haut dans ce texte.
Pour bien comprendre ce phénomène, nous devons faire un petit détour par les connaissances en neurologie. Tout apprentissage passe par la connexion de neurones (les cellules de notre système nerveux et ici, plus précisément celles de notre cerveau). Ces neurones se connectent entre eux de telle manière à former des voies neuronales. Elles ont une fonction économique qui paraîtra évidente à chacune et chacun après ce petit exemple.
Vous vous trouvez devant un mur blanc. Vous êtes capable en une fraction de seconde d’identifier que vous vous trouvez en face d’un mur blanc, d’une part et d’autre part, de nommer votre position, l’objet devant lequel vous vous trouvez, ainsi que sa couleur. Ceci est rendu possible par l’existence de voies neuronales dans votre cerveau qui vous permettent d’éviter qu’à chaque fois que vous vous trouvez dans cette position, vous deviez prendre des heures à l’identifier et à réapprendre les mots nécessaires à la nommer.
Les voies neuronales permettent ainsi, à un stimulus donné, d’adopter une réponse de manière automatique, sans devoir passer par des heures de réflexion et d’apprentissage à chaque fois. C’est ainsi que nous créons également des habitudes.
Lorsque dans une pratique professionnelle, nous adoptons certains comportements, il faut comprendre que c’est ce qu’il s’est passé dans notre cerveau. C’est-à-dire qu’à un stimulus donné, nous adoptons un comportement automatique, qui rend la réponse adaptée, en particulier en termes de timing. Sans quoi, nous devrions à chaque fois prendre beaucoup de temps pour adopter la bonne réponse, car à chaque fois, nous devrions la réapprendre.
Lorsque nous désirons adopter un changement, quel qu’il soit, nous sollicitons notre cerveau pour qu’il crée une autre voie, latérale, par rapport à celle qu’il a déjà créée. Ce que nous appelons « résistance au changement » n’est ni plus ni moins que le fait que nous butons sur une voie neuronale qui est activée, dès lors qu’un stimulus similaire à ceux qui ont permis sa création, se présente. Dit autrement, les résistances au changement ne sont rien d’autre que l’expression des habitudes (voies neuronales) que nous avons adoptées et qui nous ont rendus si performants jusque-là.
Je me permets un petit encart en rapport avec les exigences au changement. Il y a une tendance managériale qui cherche à mettre les collaboratrices et collaborateurs dans une situation de déséquilibre constant. Ceci n’a donc rien de naturel et sollicite les capacités d’adaptation de la personne au-delà de ce qui est tolérable pour son organisme. Un changement dans une entreprise ou une institution, qui touche aux pratiques professionnelles acquises lors d’un apprentissage ou une formation et qui ont demandé des années de mise en place, qui touche aux habitudes de communication et relationnelles d’une équipe, d’un département ou de l’ensemble de la structure, ces dernières ayant également nécessité de l’énergie et du temps pour se mettre en place, n’a donc rien d’anodin et sollicitera plus de ressources que celles qui ont été utilisées pour mettre en place la situation existante avant le changement voulu, compte-tenu des habitudes pré-existantes.
Question de représentations
La représentation (justement) selon laquelle l’individu est fait de deux parties, une professionnelle et l’autre personnelle, n’est plus aujourd’hui considérée comme véritablement crédible. Elle marque encore cependant certaines de nos réflexions.
Une représentation plus actuelle de l’individu au travail est celle d’une personne qui pour travailler et se comporter dans le cadre du professionnel fait appel à ses ressources personnelles et à celui qu’il est personnellement au service de l’activité et des interactions / relations qu’il est sensé assumer sur son lieu de travail. Ainsi, il n’existe pas de rupture entre la personne et le professionnel, tout rôle professionnel adopté faisant appel aux ressources personnelles. Il en va de même pour les émotions. Elles sont les témoins de notre adaptation, elles la permettent, la rendent possible.
Ce qui est le plus visible de l’influence, l’impact de celles-ci sur notre vie de tous les jours sont nos représentations. Elles sont rattachées à nos valeurs, à ce qui nous est, finalement, le plus intime. Le stress induit par un changement sollicite nos émotions, d’une part et d’autre part, vient questionner nos représentations. Ces dernières contribuent au sens que l’on donne (ce qui est un besoin) aux évènements, à notre environnement et à ce que nous vivons. Pour ce faire, nous estimons, nous jugeons ce que nous percevons à l’aune de nos valeurs. Ainsi, nous nous créons des représentations qui vont être le liant entre les différents aspects de notre vie et qui nous permettront d’en construire et d’en conserver une cohérence. Dès lors que nous touchons à l’un de ces aspects, tel que mon rôle professionnel, mes activités professionnelles, ma manière de faire les choses, etc., nous touchons à nos représentations. Il ne suffit pas de vouloir que les représentations changent pour qu’elles le fassent. Reposant, elles aussi, sur des voies neuronales et contribuant de manière importante aux résistances au changement, elles nécessitent d’en prendre soin dans le processus d’accompagnement au changement par exemple, sous la forme d’un partage des représentations.
Sur la bonne voie!
Pour envisager des solutions et favoriser les changements, ainsi qu’optimiser nos accompagnements, nous devons comprendre comment se forment les voies neuronales. La création des voies neuronales se fait de deux manières : soit par de nombreuses répétitions, soit par un évènement marquant (qui peut être traumatisant, mais pas seulement) qui, de par son importance, vient marquer durablement la personne. Nous percevons déjà ici l’aspect émotionnel qui est induit par une telle démarche.
Ainsi donc il faut du temps pour changer. Car changer signifie créer et adopter une voie neuronale alternative à celle qui a été créée précédemment dans un contexte et face à des stimuli semblables. Il faut non seulement du temps, mais ceci requiert également beaucoup d’énergie. C’est pourquoi il paraît assez évident, vu sous cet angle, que le rapport coût/bénéfice du changement doit avoir été bien évalué avant le changement, d’une part et que si le changement, peu importe l’estimation de ce rapport, doit de toutes les façons avoir lieu, qu’il faut considérer la mobilisation des ressources nécessaires à son intégration comme un investissement, y compris sur le plan financier, d’autre part.
La question qui est ici posée est celle des moyens nécessaires à l’intégration du changement et de leur coût. Il y a ici déjà une pression sur le changement. Le rythme des changements nécessaires à l’adaptation de l’entreprise ou l’institution à son marché et son environnement technologique, social, politique ou administratif peut ne pas permettre d’envisager d’accompagnement au changement en se basant sur des petites répétitions régulières qui rendent évidemment le processus d’intégration long.
Ceci favorise la réflexion autour d’interventions marquantes qui permet l’intégration du changement, ou dit de manière plus réaliste - par rapport à ce que nous avons vu précédemment - sa création. Car pour qu’un changement soit facilement intégré, il s’agit de le faire créer par ceux qui doivent l’adopter. Ainsi le gain, à ce niveau, des processus participatifs paraît assez largement évident. De plus, ceci conforte le constat selon lequel des structures plus plates, moins hiérarchiques sont plus facilement aptes au changement, car tout le personnel se saisit de l’ensemble de la sollicitation qui nécessite le changement, plutôt que les différents éléments de celle-ci soit répartie par niveau de « concernement » hiérarchique, laissant un arrière-goût d’incomplétude chez les personnes concernées.
Quelles solutions s’offrent à nous?
Ainsi, nous commençons à pouvoir décrire à quoi pourrait ressembler une démarche d’accompagnement au changement qui augmente la probabilité d’intégration de ce dernier :
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Une intervention marquante qui aide à «faire dérailler» le train des rails habituellement utilisés
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penser hors de la boîte, ce qui est généralement nécessaire pour créer et adopter des alternatives à notre fonctionnement, nécessite une application littérale de l’expression, donc une intervention hors de la boîte, c’est-à-dire sortir de l’entreprise ou de l’institution pour réfléchir à ce qu’il s’y passe ; l’intervention à lieu hors de l’entreprise, c’est-à-dire hors-cadre et est animée par un intervenant externe.
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compte-tenu des aspects relatifs aux représentations et à leur gestion d’une part, à l’aspect déstabilisant que requiert l’intervention marquante, d’autre part, et de la nécessité de se sentir embarqués tous dans une remise en question induisant une émulation de chacun-e par ses collègues, il s’agit de le faire, pour une phase de la démarche, en résidentiel.
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Faire créer le changement par ceux qui doivent l’adopter, car ce que je crée, même dans une collaboration (co-création), j’y adhère. C’est peut-être la partie la plus délicate pour les représentants de l’entreprise ou de l’institution qui initient le changement ou qui sont chargés de leur accompagnement. Afin de maîtriser ce qu’il se passe, nous définissons les objectifs, les moyens nécessaires pour y arriver et nous espérons qu’avec un peu de compréhension, les personnes qui doivent l’adopter le feront sans trop rechigner. Or si les éléments rationnels du changement, ses raisons, ses objectifs et les moyens pour y parvenir sont parfaitement compréhensibles, nous savons tous que ceci ne suffit pas à leur adoption. Les éléments émotionnels rattachés aux représentations n’ont été ni abordés, ni traités. Une manière efficace de les aborder consiste à faire créer quelque chose aux personnes concernées et, évidemment, ensemble. La créativité est réputée comme très efficace pour le développement des voies neuronales dites latérales dans le cerveau. C’est une ressource individuelle et collective à l’appui du changement qui met en jeu nos systèmes émotionnels sans les mettre en danger.
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Intégrer un suivi de quelques mois pour s’assurer d’un aspect répétitif et jouer ainsi sur les deux aspects permettant la création de nouvelles voies neuronales (évènement marquant, répétitions). Il s’agit également de donner l’espace nécessaire à aborder les difficultés relatives aux nouveautés, aux pratiques, aux relations et à la communication. Après avoir échauffé les systèmes de représentations individuels et collectifs, il faut leur permettre de se calmer et de le faire en adoptant de nouvelles pratiques.
La pratique du team-building
Les quelques pistes évoquées ci-dessus, qui ne prétendent pas à l’exhaustivité, font partie d’une pratique que l’on appelle le team-building. Nous pouvons considérer que le team-building est un accompagnement au changement du fonctionnement d’une équipe. Dès lors, il n’apparaît pas étonnant que cette pratique puisse être adaptée à l’accompagnement au changement.
De plus, tout changement dans un milieu nécessitant un travail d’équipe devra également être considéré sous l’angle de son impact sur le fonctionnement de l’équipe.
Le processus minimal d’un tel accompagnement est le suivant :
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Entretiens : avec la direction et les responsables de l’accompagnement du changement internes. Il s’agit de comprendre le changement nécessaire, le contexte dans lequel il a lieu et qui le justifie, de saisir les éléments de la culture d’entreprise ou de l’institution, de saisir les différentes équipes et personnes concernées et de proposer un plan d’intervention comme résultat de ces entretiens.
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Entretiens individuels : avec toutes les personnes concernées. Il s’agit de saisir la compréhension du changement qu’en ont les personnes devant l’adopter, les représentations individuelles du changement, de l’équipe et de l’organisation (entreprise ou institution), de mieux comprendre la culture de l’organisation et de son/ses équipes et de préparer chacune et chacun à l’intervention qui suivra.
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Session hors cadre et en résidentiel : par équipe, d’une durée de deux jours. Travail sur le partage des représentations, construction d’une vision partagée, utilisation de méthodes de créativité pour contribuer à une construction commune mobilisatrice et intégrative.
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Sessions de suivi : de deux demi-journées par équipe, pour favoriser l’intégration de la création collective et les modes interactionnels et communicationnels qui en découlent.
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Session de clôture : pour marquer la fin de l’intervention et l’intégration de la nouveauté.
Les avantages d’une telle pratique :
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s’adapte à n’importe quel sujet.
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s’applique à toute équipe ou groupe quelque soit son niveau hiérarchique (y compris conseil d’administration, conseil de directions, comités, conseils de fondation, etc.).
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est systémique et aborde tous les niveaux impactés par le changement, tant sur le plan individuel, que sur le plan de l’équipe, que sur celui de l’organisation en offrant la possibilité d’intégrer tous ces plans à la fois dans un accompagnement global.
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compte tenu de ce qui précède, elle augmente significativement la probabilité de réussite du changement et de son adoption à tous les niveaux concernés.