Les générations X, Y et Z : une imposture marketing
On aime mettre les choses dans des boîtes. Il faut labelliser, structurer et organiser comme on tague des articles sur un blog. Tout doit être carré, simple et lisible. Ça rassure et ça conforte. Hélas, la vie n'est pas si simple. Mais le marketing générationnel ne s'en préoccupe pas. Vous êtes né entre 1980 et 1995, alors c'est la génération Y. De 65 à 80, ce sera la Z. Et avant ça, vous êtes un baby-boomer. On vous explique, à la manière d'un astrologue de comptoir, quels sont vos traits de personnalités et comment vous devez vous comporter. Mieux, on vend ce savoir-faire unique aux entreprises à coup de consultants spécialisés pour expliquer comment s'adapter aux générations X, Y et Z. Mettons tout de suite les choses au clair : ce concept générationnel est, de mon point de vue, une gigantesque imposture destinée à enfermer les gens dans des boîtes. Vous me trouvez radical ? Je vous explique pourquoi.
Le concept de génération : un agrégat instable peu rigoureux
Il n'y a aucune étude sociologique sérieuse qui vient étayer ce concept de générations. Systématiquement, on est dans le grand flou. Le meilleur exemple est celui des dates. Selon les envies et les débats, la génération Y va de 1979 à 1995, ou de 1980 à 2000 ou de 1981 à 1990… Une étude de la chambre de commerce américaine a même dénombré 21 périodes temporelles différentes pour évoquer la génération Y. Est-ce que quelqu'un qui est né en 1989 serait fondamentalement différent de celui né en 1990 ? En matière de rigueur scientifique, on repassera !
Les générations n'existent pas, ce sont des concepts inventés de toute pièce à des fins marketing. Au mieux, ce sont des personas.
C'est-à-dire une cible marketing que les annonceurs tentent de séduire (un peu comme la fameuse ménagère de moins de 50 ans). Au pire, ce ne sont que des clichés et des stéréotypes affligeants qui ont néanmoins le mérite de souligner une chose. Une chose qui est constante depuis 2 000 ans : chaque génération qui passe se pense supérieure à la suivante et peine à la comprendre.
Les traits de caractère de la génération Y d'il y a 15 ans sont ceux de la génération Z aujourd'hui. En clair, des caractéristiques communes des moins de 35 ans que les plus de 35 ans ne comprennent pas.
Alors, comment tout a commencé ?
Au départ, le terme de « génération X » est né en 1949 dans le cadre d'un projet par le photographe Robert Capa. Il refait ensuite surface en 1953 puis en 1963. Mais c'est en 1991 que sort le livre Génération X qui va donner le ton. Puisque les baby-boomers sont perdus, quoi de mieux que de vendre un livre pour leur expliquer comment gérer la génération suivante ?
Les générations X, Y et Z : un business plan pour consultant
Avez-vous remarqué que les gens qui vendent le concept de génération Y, ne font jamais partie de la soi-disant génération Y ? La parole des jeunes est confisquée et on leur dit quoi dire et quoi penser. Plus on est réducteur et provocateur, plus ça fonctionne. Les nouvelles générations sont systématiquement en opposition avec la précédente. Mais pour leur plaire, et favoriser le processus d'auto-identification, on ajoute aussi des traits de caractère positifs. Ils sont aussi ouverts sur le monde, curieux, technophiles, à la recherche de sens, etc. Les jeunes ne sont pas particulièrement fiers de faire partie de la génération Y ou Z. Par contre, on adore les mettre dans les boîtes. En particulier sur le plan professionnel dans des entreprises qui doivent s'adapter à un changement générationnel et technologique non sans difficulté.
Selon le Wall Street Journal, il existe désormais sur le réseau LinkedIn près de 400 personnes qui se décrivent comme « expert des milléniaux » ou « consultant en milléniaux ». Un marché estimé à 70 millions de dollars aux États-Unis par Source Global Research. C'est sans doute peu comparé à un marché traditionnel, mais cela souligne l'inconfort du sujet pour les entreprises. Au lieu de chercher à écouter les jeunes en interne, on préfère payer un expert pour venir nous en parler. Finalement, on n'est pas loin du principe du parent avec son adolescent turbulent qui ne sait plus comment faire pour communiquer efficacement.
L'autre biais majeur dans le marketing générationnel, c'est que l'accumulation de stéréotypes conduit à créer une norme. Le risque est de s'en éloigner et de perdre confiance. Et quand on vient d'un lycée difficile ou d'une famille précaire, rechercher l'alignement sur une norme hypothétique peut être dévastateur.
Comment manager les nouvelles générations en entreprise ?
On ne peut pas manager les nouvelles générations.
Pas parce qu'elles ne sont pas managables. Mais parce qu'elles n'existent pas. On ne manage pas des générations, mais des gens. Des salariés, des collaborateurs, des stagiaires… qui ont tous leurs spécificités et leur caractère unique. Lutter contre les stéréotypes devrait être la priorité des entreprises plutôt que de vouloir les répliquer.
Une des premières choses que j'ai apprise et comprise en tant que manager, au cours de mes plus de 20 années de différentes expériences, est liée à l'unicité des caractères, et qu'il n'est pas souhaitable ni productif de vouloir les mettre dans les cases.
Un jeune peut être réfractaire au changement et un senior en poste depuis 20 ans peut être curieux et avoir envie de changer en permanence.
J’ai à de nombreuses reprises, et je le suis encore aujourd’hui, était témoin de cet état de fait.
Ce qui fonctionne dans le marketing générationnel fonctionne aussi avec les autres traits de caractère. Si j'admire par certains aspects, le travail fait par les entreprises nord-américaines en matière d'intégration et de d'inclusion, l'aspect communautaire peut parfois porter à confusion. Je suis issu de l'immigration, j'ai grandi dans un milieu pauvre, j'ai la peau mate et j’ai un hadicap à l'oeil droit. Dans quelle case dois-je rentrer ? C'est la même chose avec les nouvelles générations. Leur jeunesse ne doit pas faire d'elle un trait de caractère unique.
Pour réussir à manager les personnes en décalage d'âge avec la norme dirigeante, il faut remettre de l'humain et considérer les individus pour ce qu'ils sont vraiment. Les managers doivent sortir le nez de leur KPI pour parler avec leurs équipes. Il faut transmettre des connaissances et vivre des expériences. Il faut aussi savoir écouter et apprendre à apprendre.
La bienveillance n'a jamais tué personne. Il faut redonner du sens au travail, et ce quelle que soit la génération. Il est essentiel de participer à la construction d'un monde où chaque jour, chaque personne se sente heureuse, inspirée et libre de travailler, s'épanouisse pleinement et, à la fin de la journée, ait le sentiment d'avoir apporté sa pierre à l’édifice… quel qu'il soit.
Comment faire ? J'ai quelques idées que je peux vous partager ici.
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